Le deuxième rapport de l’Observatoire citoyen de la marchandisation des associations (OCMA, France) est disponible. Inspiré notamment par le modèle de l’Éducation permanente en Belgique francophone, il propose des pistes concrètes pour la démarchandisation et la défense de la non-lucrativité dans le secteur associatif, en France mais aussi au niveau européen.
L’OCMA, créé à l’initiative du Collectif des Associations Citoyennes (CAC), est un organe d’analyse et de veille spécifique sur les processus de marchandisation et de transformation néolibérale qui affectent les associations. Pour son deuxième rapport, Entre marchandisation et démarchandisation : un monde associatif à la croisée des chemins[1], l’OCMA s’est basé sur l’expertise de la FESEFA pour comprendre l’histoire et le fonctionnement du secteur de l’Éducation permanente et en tirer des pistes pour l’amélioration de la condition des acteurs associatifs français, voire européens.
Pression croissante des logiques marchandes
L’OCMA analyse d’abord les transformations du financement et de l’encadrement des associations françaises, et en dégage un constat préoccupant : les logiques de marché s’imposent progressivement dans le champ associatif, au détriment de l’autonomie des acteurs et de la richesse de leurs actions citoyennes.
En effet, les associations françaises, en particulier celles issues de l’éducation populaire, font face à une mutation profonde de leur environnement institutionnel.
Les auteurs et autrices du rapport pointent une érosion continue des subventions publiques, remplacées par des appels à projets et des appels d’offres. Ce glissement oblige les associations à entrer en concurrence les unes avec les autres et à s’aligner sur des critères de performance souvent éloignés de leurs missions de transformation sociale.
Il en découle une marchandisation des actions, avec des logiques de prestation de services et des financements conditionnés à des résultats chiffrés. Cette dérive limite la capacité des associations à agir sur le long terme, à innover socialement ou à répondre à des besoins spécifiques non rentables.
Troisième phénomène : l’arrivée de la financiarisation, à travers notamment les contrats à impact social. Ces dispositifs, issus de la logique du « social business », font entrer des investisseurs privés dans le financement des actions associatives, conditionnant les remboursements à des objectifs mesurables et renforçant ainsi une culture du résultat déconnectée des réalités de terrain.
Le modèle belge francophone : des garanties encore solides
En 2019, l’adoption du Code des Sociétés et des Associations (CSA) bouleverse le paysage associatif belge, comme l’indique l’OCMA : « Ce changement accompagne notamment l’arrivée d’une nouvelle gestion publique, new public management où, comme en France, efficience, mise en concurrence, performance gestionnaire et évaluation sont les maîtres mots. Elle s’inscrit également dans une politique européenne qui voit les associations comme des entreprises dans le cadre d’un marché unique où la règle de la concurrence libre et non faussée règne. »[2]. Citant l’ouvrage collectif Autonomie associative menacée[3] édité par la FESEFA, l’OCMA insiste : « l’associatif se trouve d’une certaine manière dépossédé de ses propres référentiels, de sa grammaire et de son langage pour évaluer le bien-fondé de ses actions, et leur possible adaptation, au profit d’un vocabulaire économique et marchand, étranger à ses spécificités et à son identité propre. »
Pour autant, l’OCMA vante « l’oasis belge francophone » que constitue l’Éducation permanente en Fédération Wallonie-Bruxelles, dont le Décret de 1976 (révisé en 2003 et 2018) offre une série de balises qui protègent encore aujourd’hui l’autonomie et la fonction sociale et politique du tissu associatif.
En effet, le Décret reconnaît le rôle des associations dans la formation critique des citoyens et citoyennes et leur capacité à produire du changement social par un financement pluriannuel stable. Ce soutien structurel leur permet de se concentrer sur leurs missions d’intérêt général, sans être entravées par des exigences de résultats immédiats. Les associations agréées bénéficient ainsi d’une autonomie précieuse pour développer des actions adaptées aux réalités locales et aux besoins des publics. Par ailleurs, le polysubventionnement, encore largement pratiqué, permet aux associations de combiner différentes sources de financement (par secteur ou par niveau de pouvoir) et de diversifier leurs activités sans dépendre d’un seul donneur d’ordre.
Enfin, le Décret a institué des mécanismes d’auto-évaluation, misant sur la qualité des processus plutôt que sur la quantification des résultats. L’accent est mis sur les récits d’expérience, les dynamiques collectives, et l’impact culturel ou politique, plutôt que sur des indicateurs de performance standardisés. Cette démarche, loin des logiques de reporting quantitatif, permet aux associations de réfléchir sur leur impact et leur adéquation avec les objectifs du Décret. Elle valorise les savoirs associatifs et renforce leur rôle dans la transformation sociale.
L’Éducation permanente, un modèle pour l’Europe ?
Dans un article spécifique[4], Jean-Michel Lucas, universitaire et membre fondateur du Laboratoire des droits culturels, met en lumière la singularité et la pertinence du modèle belge de l’Éducation permanente dans le contexte européen. Il souligne que ce dispositif constitue une exception précieuse face aux logiques de marchandisation et de mise en concurrence qui dominent dans l’Union européenne.
Jean-Michel Lucas insiste en outre sur le fait que l’Éducation permanente en Belgique francophone concrétise les valeurs de dignité, liberté, égalité et solidarité, telles qu’énoncées dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il considère que ce modèle, qui garantit un financement structurel et pérenne des associations tout en valorisant leur rôle critique devrait être promu comme une référence pour l’ensemble des États membres.
L’auteur met en avant la capacité du Décret belge à préserver la fonction émancipatrice des associations, en leur permettant de développer des actions qui favorisent la citoyenneté active et la critique sociale. Contrairement aux dispositifs européens dominants, tels que les Services d’intérêt économique général (SIEG), qui soumettent les associations aux règles de la concurrence, le modèle belge offre un espace de liberté et de co-construction. Jean-Michel Lucas en appelle donc à une « bifurcation » des politiques européennes pour sortir de l’impasse actuelle, où les associations sont souvent réduites à des prestataires de services. Il propose de s’appuyer sur les valeurs de la Charte des droits fondamentaux pour promouvoir des « organisations de relations d’humanité émancipatrices » (ORHE), à l’image des associations d’Éducation permanente en Belgique. Selon lui, ce modèle pourrait inspirer une nouvelle table de négociation de l’intérêt général au sein de l’Union européenne.
Pour en savoir plus
- Rapport complet de l’OCMA : https://observatoire.associations-citoyennes.net/?PagePrincipale
- Synthèse du rapport : https://institutfrancaisdumondeassociatif.org/wp-content/uploads/2025/05/SYNTHESE-CAC-RAPPORT-2025.pdf
- Vidéo de la présentation publique du rapport le 26 mai 2025, avec une intervention de Jennifer Neilz (coordinatrice du pôle EP de la FESEFA)
- Ouvrage collectif Autonomie associative menacée : https://www.fesefa.be/autonomie-associative-menacee
[1] Téléchargeable sur le site de l’OCMA : https://observatoire.associations-citoyennes.net/?PagePrincipale
[2] p.91
[3] Autonomie associative menacée, Des défis et ambitions pour garantir nos libertés, ouvrage collectif, Couleur livres, 2021 (en vente sur https://www.fesefa.be/autonomie-associative-menacee)
[4] pp.95-107