Farah Ismaïli ne mâche pas les maux !

25 septembre 2020

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Par les temps qui courent, Farah Ismaïli est une personnalité qui détonne. Elle se reconnaît d’abord par un dynamisme tenace, ensuite par un discours convaincu et passionné. Elle fait partie de ces âmes qui sont nées la contestation greffée au ventre avec raison.

Elle est de celles qui se rebellent sans relâche contre les injustices tristement multiples et fleurissantes, gardant la conviction sincère qu’il est nécessaire d’agir. Il faut passer aujourd’hui à l’action concrète pour que la démocratie contemporaine redevienne ce qu’elle doit être : une expression de tou·te·s et surtout des voix citoyennes qui veulent reprendre en main leur destin et leur place au sein de la société civile.

Directrice de la Fédération des Employeurs des Secteurs de l’Éducation permanente et de la Formation des Adultes, la FESEFA, elle a fait sienne la défense des « corps intermédiaires », toutes ces associations de la contestation, reconnues ou pas. En dépit de ces derniers mois où elle a dû en découdre avec ce maudit Covid, elle a accepté généreusement d’être la rédactrice en chef du Magazine qui ouvre notre saison 20/21 sous le signe de la Révolte ! Une rédactrice aux propos intarissables et sans gratuité. Attention, langues de bois s’abstenir ! Portrait d’une Farah Ismaïli qui se démasque.

La contestation est un acte légitime

Lorsqu’elle aborde avec humilité son parcours, elle le qualifie de chaotique. En énumérant chronologiquement : Schaerbeekoise de naissance et de cœur, résolument contestataire dès l’adolescence, elle est la fille d’une famille d’immigrés marocains. Après trois candidatures en médecine, elle se lance dans des études en sciences criminologiques. Elle est militante au MRAX (Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie), chargée de communication à l’Exécutif des Musulmans de Belgique, ensuite collaboratrice de la sénatrice et députée Clotilde Nyssens et, aujourd’hui, directrice de la FESEFA. Pourtant, à y regarder de plus près, il y a bien dans sa carrière des cordes sensibles et premières qui unissent fondamentalement cet ensemble apparemment disparate.

Parmi ces cordes, il y a d’abord une certaine traduction de l’architecture sociale. Avant d’être une cité politique, la société est surtout une construction humaine, faite de luttes entre dominants et dominés. « Cette réflexion s’est engagée lors de mes études universitaires. Une vision soutenue par bon nombre de paradigmes sociologiques défendus par la criminologie francophone (à l’inverse de l’anglo-saxonne) et la conception d’une société construite socialement. La justice est une valeur mais le système pénal et judiciaire est le fruit d’une construction humaine et sociale qu’il faut pouvoir déconstruire. Il faut pouvoir comprendre pourquoi et sous quelle forme une société punit, quelle est l’évolution de cette manière de punir. Cette même pensée de la déconstruction est applicable à toute la société et toutes les sociétés. »

Ensuite, il y a cette forme continuelle de rébellion. Dans le Schaerbeek passablement raciste des années 1980-1990, les discriminations étaient légion. Entre la place Colignon et la chaussée de Haecht, en tant que jeune Marocaine aux convictions bien harnachées, Farah n’entendait pas se laisser marcher sur les pieds. Il en a été de même tout au long de sa carrière. « Lorsqu’on est dans la contestation toute sa vie, au sein de la cellule familiale, à l’école ou face aux institutions, il y a toujours un moment où l’on se demande si c’est normal ? Et la culpabilité vous gagne…

En réalité, la contestation est un acte légitime. En revanche, le «pouvoir», «l’autorité», … cherchera toujours à la délégitimer, en opposant la plupart du temps des groupes d’individus supposés ne pas partager les mêmes intérêts. — –

Par exemple, en pointant la prétendue prise en otage de la population lors de grèves des transports publics. Lorsque tu ressens une forme d’injustice, que tu n’es pas la seule à la ressentir et à vouloir l’exprimer, cette contestation est légitime et s’organisera de telle façon à tenter de provoquer un changement ! Il se passe la même chose lorsque tu es dans la lutte antiraciste. Au-delà du discours universaliste porté par nos sociétés (Liberté, Égalité, Fraternité), tu comprends vite qu’il y a tout un processus de racisation (assignation identitaire ou à un groupe de caractéristiques subjectives), institué ou non, à l’œuvre dans les rapports humains. Ne pas s’en apercevoir revient à nier les rapports de forces qui se jouent dans tous les domaines de la vie. La contestation commence toujours par une prise de conscience du monde dans lequel on vit et par une déconstruction des idées reçues et des préjugés. »

Soutenir les forces vives

Farah est réaliste et n’entend pas changer le monde entier par la simple force de ses bras. Par contre, elle tient à défendre l’action qui est menée par les associations, ces « corps intermédiaires » qui avancent sur le terrain. Elle a la chance de travailler dans un contexte pluraliste et embrasse, sans distinction, le panel d’injustices avérées qui nécessite un engagement contestataire actif. Son action se traduit par la garantie de l’autonomie associative : autonomie d’action, de parole et la liberté d’appuyer la radicalité, si nécessaire lorsque les manifestes et les paroles ne suffisent plus. Son travail est encore plus élargi puisqu’il ne se limite pas simplement au soutien des associations d’éducation permanente subventionnées mais aussi toutes les autres structures – associations ou pas – pour lesquelles l’indépendance et l’autonomie d’action doivent pouvoir être garanties. Elle observe également l’émergence de mouvements qui, par désir d’indépendance, de rupture avec le système ou de manière de concevoir l’action, tiennent un discours de lutte différent. Ces mouvements émergents doivent pouvoir être entendus en vue de faire converger les luttes communes, au risque de l’essoufflement de celles-ci.

Mais comment entendre certains de ces nouveaux mouvements contestataires qui ont passé la frontière, qui ne sont plus des contre-pouvoirs, pensent une société alternative au niveau local et se positionnent en marge, rompant tout discours avec la démocratie en place ?

« Il est vrai que pour traduire aujourd’hui ces nouvelles formes émergentes, le paradigme bourdieusien n’est pas toujours suffisant. Ces formes d’actions font certes preuve de créativité en refusant l’opposition avec une autorité donnée, en faisant presque fi de son existence, mais ce qu’elles développent n’est pas certain de perdurer ou d’aboutir à une véritable transformation sociale lorsque, à l’échelle macro, les problèmes demeurent. Ensuite, il est plus que probable que dans cette idée de repenser le système et le monde, les mêmes problématiques de collectivité reviennent de front. Enfin, une lutte est un investissement de longue haleine qui est inlassablement guetté par l’essoufflement, il faut donc s’unir, s’organiser, trouver des financements, se professionnaliser aussi…. Par exemple, je ne suis pas certaine qu’un potager collectif, même si c’est l’aboutissement d’une réflexion très respectable, ait un impact sur le dérèglement climatique. Il permet de prendre conscience d’un certain nombre de réalités et d’adopter un mode de vie plus respectueux et sain, mais il ne peut se suffire à lui-même. On en revient de nouveau à la convergence des luttes, sans les opposer, au risque d’entretenir « une lutte des pauvres ». Souvent, elles ont toutes le même adversaire, pourtant elles se disputent une façon de faire qu’elles pensent parfois plus légitime que l’autre, ce qui devient improductif. C’est malheureusement la meilleure façon de casser des dynamismes collectifs. Pour moi, la véritable problématique, et je n’ai pas la solution miracle, c’est comment faire converger ces luttes communes en vue de cette transformation radicale à laquelle nous aspirons ? Comment faire agir ensemble aussi bien les syndicats, les associations d’éducation permanente, financées ou pas, les structures reconnues ou non comme les mouvements émergents, dans des luttes globales communes ? Quitte ensuite, une fois l’objectif général atteint, à investir différemment cet espace de droits conquis.

L’impossibilité des révoltes sans heurt ?

L’idée reçue que l’Éducation permanente manque de radicalité perdure et, pourtant, elle n’est pas justifiée. Sa présence sur le pavé et dans les manifestations le prouve. Les mouvements féministes, les actions pour les migrants et les actions LGBTQIA+, souvent les plus remarqués, en sont une autre preuve. Lorsque que les discours ne rencontrent plus le citoyen, la désobéissance civile se légitime-t-elle d’elle-même ?

« L’immobilisme est antinomique lorsque tu es militant et engagé. Lorsque les discours ne sont plus entendus, je peux comprendre que des actions en viennent à se « radicaliser ». — –

D’ailleurs, le mot « radical » ne s’associe pas toujours à l’éloge de la violence (religieuse) ou du chaos comme beaucoup aiment à le penser. C’est un mot latin qui signifie racine. Pour toucher la racine du problème, parfois des actions montent d’un cran, voire plusieurs. Il faut pouvoir entendre cette colère, cette rage, cette révolte nécessaire quand, en face, le mépris et le déni sont les seules réponses. Le système de sécurité sociale reposant sur la solidarité n’a pas été obtenu avec les seuls calicots. Il est erroné de penser que l’on puisse transformer une société sans heurt et sans barricade. L’histoire sociale en est jalonnée ».


Farah Ismaïli nous a dessiné le squelette du Magazine N°3 de PointCulture en proposant des interviews de différents représentants du secteur de la lutte ainsi que des articles sur les grandes questions relatives aux nombreux combats dans nos sociétés contemporaines. Tout un programme à savourer de la casquette aux rangers, un poing c’est tout !

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